Emily Beer, artiste brodeuse etc.

Elle est brodeuse oui, et pas que.

Costumière et habilleuse pour le théâtre et le cinéma, joueuse de ukulélé à ses heures perdues, chanteuse de mélodies décalées dans des bars, mère de famille à l’humour décapant.

Emily Beer aime raconter des histoires en tissus qui ne mâchent pas leurs mots ni leurs fils à travers des oeuvres qui poignent et se trouve toujours là où on ne l’attend pas.

Elle est brodeuse oui, bien sûr, et au 21e siècle.

Jouant de ses sensations avec les codes et les langages de son époque.

 Elle scrute le corps humain et les organes - sièges des émotions - de manière obsessionnelle, interrogeant le « moi épinière », détaillant l’un après l’autre au fil de ses points les tissus de veines et de chairs et de sang qui font nos intérieurs cachés. Elle les fout dehors, elle les exhibe avec moult couleurs et détails processionnaires. Elle écrit des mots et des phrases autour. Drôles, décalés, saccadés, dont la gaité franche vient parfois trancher la morbidité viscérale des matières.

 Brodeuse à message. Des Ex Voto sur des anciens napperons à dédier à sa mère, son patron, sa copine, son amoureux comme pour renouer avec les anciens rituels, à l’envers de l’éphémère matérialité des messages virtuels si vite oubliés, broder pour toujours, contre le temps.

 Brodeuse charnelle, elle explore le nu féminin en interrogeant ses propres malaises pour ne pas les laisser en plan.

 Brodeuse poétesse, elle fabrique des coeurs en volume, sculptures de tissus aux tentacules de veines qui se multiplient comme autant d’états possibles de l’être. Son geste emprunte aux surréalistes comme aux romantiques, elle ne se laisse pas enfermer dans un genre. C’est son genre à elle qui se déploie dans des pièces qui laissent place aussi à l’improvisation et à la liberté du moment.

 La broderie est pour Emily Beer un terrain d’exploration rituelle sans limites.

 Cherchant des espaces d’invention entre la tradition, l’art ethnique et les renouvellements de codes, elle produit une série de masques aux formes inspirées par différentes cultures et complètement neuves, aux couleurs criardes ou absentes, réinventant ainsi les corps de ceux qui les portent et rejoignant l’art théâtral de la transfiguration et la création délicate des oeuvres couture.

Son oeuvre est aussi un reflet du monde, des disques qu’on écoute, pochettes d’album rebrodées et réinterprétées aux affiches de cinéma qui font notre culture universelle, imageries mythiques qui viennent prendre la forme tissus, comme pour affirmer que la broderie peut tout, que cet art ancestral souvent considéré comme décoratif n’a pas de frontières.

 En se promenant dans son musée on est tantôt dans son intime relation aux êtres, à ses angoisses, à ses désirs tantôt dans le vaste monde. L’intérieur et l’extérieur se parlent. Les fils de coton et de laine, la représentation graphique et plastique des sujets et les mots cohabitent joyeusement. Tout fait corps comme dans la poésie figurative d’Apollinaire. On se sent libre. On y interroge les viscères aussi bien que les grandes oeuvres du répertoire. On est au coeur d’un cheminement organique qui nous déplace, nous fait vibrer ou réfléchir. Chaque oeuvre vient nous parler intimement.

 Emily Beer est une artiste brodeuse, oui, et une poétesse.

Texte d’Emmanuelle Destremeau, autrice, compositrice, réalisatrice, actrice